Dans l’ombre du vacarme, les femmes qui bâtissent la mode : Louise Trotter dans la même vibration que Phoebe Philo
Dans l’ombre du vacarme, les femmes qui bâtissent la mode : Louise Trotter dans la même vibration que Phoebe Philo
Je me souviens de la première fois que j’ai rencontré Louise Trotter. C’était il y a deux ans, au défilé des 20 ans de l’école MODART International, dont elle était la marraine. Elle avait cette présence rare : calme, concentrée, attentive.
Ce qui m’avait marquée, c’est à quel point elle prenait le temps de regarder le travail de chaque étudiant. Un regard sincère.
Et j’avais appris qu’elle avait des enfants. Je m’étais dit : comment elle fait pour tout mener de front ? Depuis ce jour-là, je la garde en tête. Et à chaque nouvelle étape de son parcours, je ressens ce même respect silencieux qu’on a pour les femmes qui avancent sans bruit — mais laissent une trace.
Phoebe Philo, elle, n’a jamais quitté la scène.
Elle a simplement choisi son rythme. Et même après toutes ces années, son empreinte reste immense. Chez Céline, on portait ses looks, on les vivait, on ne s’en lassait pas. Encore aujourd’hui, je repense à certaines pièces (les jupes, les mailles !!!!) que je cherche désespérément sur Vestiaire Collective, sans jamais les retrouver.
Est-ce que tout le monde les garde comme des pierres précieuses, cachées au fond d’un coffre ? Les rares qu’on voit passer ont une cote folle… et pourtant, ce n’est pas un sac Chanel.
Finalement, c’est ça la classe d’un créateur : imposer une esthétique qui dure, sans logo. Et aujourd’hui, chez Bottega Veneta, Louise Trotter me donne ce même frisson.
Elle n’a pas la hype d’un Matthieu Blazy ou d’un Jonathan Anderson, mais elle a quelque chose de plus rare : la justesse.
Chez Bottega Veneta, elle signe une collection d’une précision et d’une élégance incroyable : des volumes puissants, du cuir qui bouge avec le corps, des silhouettes qu’on a envie de garder dix ans. Pas de feu d’artifice, juste du vrai style, ancré dans la réalité et la matière.
Elle construit un vocabulaire.
Et pourtant, combien de fois voit-on encore les femmes effacées des récits de mode ?
Cette semaine, une phrase m’a fait bondir. Bruno Pavlovsky, président de Chanel, qui résume l’histoire de la maison en trois saisons : Chanel, Karl, puis Matthieu Blazy.
Pardon ?
Et Virginie Viard, on en parle ?
Trente ans chez Chanel. Des décennies à construire les collections avec Karl, à tenir la maison de l’intérieur. Et quand il est parti, c’est elle qui a repris le flambeau — qu’elle portait déjà depuis longtemps. Sous sa direction, les ventes ont doublé, atteignant près de 20 milliards d’euros.
Mais en une phrase, on l’efface. Et ce n’est pas un cas isolé.
Donatella Versace, aussi.
On parle sans cesse du “frère génial”, Gianni, mais on oublie que c’est elle qui a sauvé la maison après son assassinat. Qu’elle a tenu, reconstruit, modernisé, relancé Versace quand tout semblait perdu. Qu’elle a transformé une tragédie en renaissance. Et malgré tout ça, le nom qu’on retient, c’est celui de son frère.
C’est ça, le vrai problème. On parle d’inclusivité, de diversité, de place des femmes…mais les récits, eux, restent patriarcaux.
Toujours la même narration : le génie masculin, la femme dans l’ombre. Alors qu’en réalité, la mode se construit à plusieurs, et souvent grâce à elles.
-> Louise Trotter
->Phoebe Philo
-> Virginie Viard
-> Donatella Versace
Quatre femmes, quatre tempéraments, une même force tranquille. Elles prouvent qu’on peut créer sans crier, diriger sans dominer, inspirer sans s’exposer.
Et je trouve ça d’une élégance absolue.
Arrêtons de vendre des fausses histoires.
Bâtons-nous pour une information juste.
Et vous ? Quelle créatrice vous inspire aujourd’hui ? Parce qu’il est grand temps qu’on parle d’elles, vraiment.
Cet article a été écrit par Célina Bailly, intervenante en fashion design, management & communication à MODART International.
